vendredi 27 juin 2008

Huitième Entretien.

Ulysse aux îles Sirénuses
Félix Niesche: Ne convient-il pas, monsieur l'abbé, de nos jours d'imiter Ulysse?
L'abbé Tymon de Quimonte: Partir, mon fils? là-bas fuir, parmi l'écume inconnue et les cieux?
F:  Plutôt de se boucher les oreilles au vacarme des sirènes et d'ouvrir les yeux.
L'abbé:.."Mais, dit Homère, il est perdu celui qui, par imprudence, écoute leur chant ; jamais sa femme et ses enfants ne le reverront dans sa demeure et ne se réjouiront».
F: Ulysse s'en est bien tiré, lui, monsieur l'abbé..
l'abbé Tymon de Quimonte:.. mis en garde par Circé il parvient à échapper à leur charme. Il a bouché avec de la cire les oreilles de ses compagnons et lui-même s'est fait attacher au mat de son navire, au moment de passer près de l'île où elles guettent les marins pour les faire échouer et les perdre. Les ossements qui couvrent le rivage témoignent du grand nombre de leurs victimes...
F:Qui sont-elles ces femelles ichtyoïdes, mi-femme, mi-raie, monsieur l'abbé
l'abbé: Leur père, mon fils, ne fut pas le Saint-Esprit, mais le fleuve Achéloos, ou alors, Phorcys, qui, on le sait, est devenu peu à peu le père de tous les monstres femelles, Chimères, Erinyes, Gorgones...
F:  Et quel était le nom de la mère à ces créatures douce-amères ?
l'abbé: Pour mère, d'aucuns leur attribuent Stéropé, une des sept pléïades, filles du Titan Atlas et de l'Océanide Pléioné, sœurs des Hyades.  D'autres, une des Muses, soit Melpomène, ou Terpsichore ou Calliope, ou bien encore, et c'est sans doute une idée plus ancienne, Gaea ou Chthon, la Terre.
On racontait aussi qu'elles avaient prétendu disputer aux Muses le prix du chant et qu'elles avaient été vaincues dans la lutte. Pausanias dit même que le concours avait eu lieu sur l'ordre d'Héra.
F: Une varité de Prima donna, divines, mais divas.
l'abbé:..indubitablement divas, mais pour être exact, mon fils, les Sirènes se rattachent au groupe nombreux des Harpyes, des Erinyes, des Lamies...variations du type fondamental de l'âme ailée, de la Ker, avide de sang et d'amour.
F: Avides de sang et d'amour.. j'en ai fait la terrible expèrience, moi aussi "j'ai rêvé dans la Grotte où nage la Syrène.."
l'abbé : Rêvé sans nul doute, mon fils. Votre poème Syrène est d'ailleurs un petit joyau, à la métrique impeccable, ciselé comme une enluminure.
F : N'est ce pas ?
l'abbé:  Homère et les poètes grecs n'ont fait, aussi, qu'emprunter aux croyances populaires. Des vases grecs nous montrent l'âme s'échappant comme un oiseau à tête de femme du corps d'un mourant, la vieille cantilène française nous parle d'une sainte qui, à sa mort «"in figure de colomb volai a ciel"». Ces âmes résident aux Enfers, comme les Kères, les Harpyes, les Furies, les Stryges et les Moires..
F:..et bien, mais qu'elles y restent avec les autres daïmons femelles !
l'abbé: Mais souvent les Sirènes quittent leur résidence habituelle pour parcourir les campagnes, aveugler et affoler les hommes et jouer le rôle de vengeresses, mon fils. Ce sont elles qui causent les rêves effrayants et les cauchemars, mais elles peuvent être apaisées par des sacrifices : quand elles ont obtenu la satisfaction qu'elles réclamaient, elles deviennent bienveillantes et favorables, et comme les Furies, qui dans les mêmes conditions, se transforment en Euménides, les Sirènes mettent leur chant et leurs instruments au service des mortels affligés qui sauront les adoucir...
F:..mi putes,mi soumises, en somme..
l'abbé:De grâce, mon fils, oublions ici nos temps faisandés...Mais ceci dit: Varium et mutabile semper..
F:..mais ceci dit en french, pour les non latinistes, l'abbé?
l'abbé:.."chose variable et toujours changeante que la femme."(Virgile). Euripide, quant à lui fait invoquer les Sirènes par Hélène avec ces mots:
"Vierges ailées, filles de la Terre, Sirènes mélodieuses,
Venez accompagner mes gémissements avec le son plaintif de la syrinx et de la flûte libyenne,
Afin que vos chants en accord avec mes larmes et mes maux déplorables
Portent à Proserpine des choeurs lugubres répondant à mes lamentations".
F: Les grecs les aimaient bien au fond, ces salamandres..
l'abbé: C'est là sans doute la raison de leur présence sur les tombeaux ; elles sont proprement «l'oiseau de l'âme» et comme un symbole de l'eidôlon ; et elles représentent, pour les Romains comme pour les Grecs, l'âme apaisée qui prend part à la peine des vivants après avoir été pour eux un danger. En même temps, elles constituent pour la tombe une protection contre les entreprises des mauvais esprits, un puissant apotropaion, comme les têtes de Gorgone que l'on y plaçait aussi. Le baskanos protège contre la baskania. Symbole de substitution de l'âme, on plaçait souvent leurs images à l'intérieur même des tombes..
F:..afin que rien n'y tombe.. Merci l'abbé, vous m'avez réconcilié d'avec les nixes, l'entretien finit bien, en queue de poisson.
l'abbé: Desinit in piscem mulier Formosa superne.*
F: Amen.* De sorte que le haut soit d'une femme aimable et le bas un effroyable poisson.

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