samedi 9 juillet 2016

Douzième Entretien.

"Je donne mon avis, non comme bon, mais comme mien" Michel de Montaigne

Félix Niesche : Ma petite bluette rimée vous divertît-elle, monsieur l'abbé?
l'abbé Tymon de Quimonte: Est-il possible, mon fils, que vous connûtes à votre tour, par l'effet d'une justice immanente, ce délaissement, dans lequel vous avez vous même laissé des hécatombes de jeunes personnes énamourées, gisant en versant des torrents de larmes ou en vous chantant pouille.
F: On se fatigue de tout, monsieur l'abbé, principalement des femmes.
La licence poètique qui opère comme dans les rêves par condensation et souvent par inversion, me fit refondre en ce petit bloc compact d'autres situations, dont je me moque...En réalité il ne m'est jamais arrivé et il ne m'arrivera jamais de soupirer après une petite dinde qui ne voudrait plus de moi...
l'abbé: L'orgueil de Don Juan vous interdit de reconnaître que vous souffrîtes à votre tour par les femmes..
F: que nenni, l'abbé, bien au contraitre, mais ici j'ai accentué une banale lassitude que j'éprouvais, mais grandement atténué l'expression d'un mal bien plus cuisant...auprès de "Celle qui ne voulait pas"..
l'abbé:..et que par retour vous vouliez dans la proportion où l'on vous resistait, n'est-ce-pas, mon fils?
f: L'abbé, mon mal était le mal des ardents, je bouillais dans mon désir car cette femelle en un clin de son oeil humide avait fait jaillir en moi des lacs de souffre en même temps que la certitude qu'elle seule portait l'âpre consolation, pouvait seule, délicieusement, me rafraichir..
l'abbé: en pleurant?
F:En rouvrant cet Oeil trop ardent qui m'avait lui, et s'était refermé...
l'abbé:.."Le sens, et l'âme y furent tant ravis,
Que par l'Oeil fault, que le coeur la desayme.."
F: ..Cette ouverture mielleuse et rose devint dès lors ma seule préoccupation, seule issue pour ma ferveur: connaître l'antre et la façon dont on y entre. Cependant qu'elle, portait sa tête à l'instar d'une reine, que son regard devenait plus hautain et ses mains aussi froides que celles d'un serpent...
l'abbé:.. Vera incessu patuit Dea...
F: Monsieur l'abbé, le Latin, je caressais pendant votre absence l'envie d'en prendre quelque teinture, mais mes multiples occupations..
l'abbé:.."Par sa démarche elle révèle une véritable déesse", de Virgile, mon fils, et j'ajouterais:Varium et mutabile semper," chose variable et toujours changeante que la femme".
F: Elle ne variait pas d'un pouce, au contraire. Avant que de m'offrir son corps elle voulait me faire l'honneur immérité de son esprit..
l'abbé: Sage, autant que vertueuse conduite mon fils. La vaillance est donnée aux hommes, et la chasteté aux femmes pour leurs vertus principales, comme les plus difficiles à pratiquer...
F:.. tu parles Charles!.. Vous gobez l'abbé... les bêtes dérobades de ma sigisbée: elle pensait montrer les subtilités de son esprit mais ne me faisait voir que les malices de son naturel..
l'abbé: Mais enfin, mon fils, pour que le don de son corps, chez une femme soit de quelque mérite ne convient il pas qu'il se fît pour prix de diffilcutés accrues?
F:Sans doute, mais l'étreinte charnelle, elle ne l'estimait pas, je crois, elle lui semblait ouvrir sur des trivialités qui ne sauraient être supportées que dès lors qu'une reconnaissance "intellectuelle" réciproque se fut installée...
l'abbé:   Elle-même, éprouvait, je suppose, mon fils, à votre endroit, une certaine estime..
F:.. pas si sur. Elle pensait que j'étais de la partie, dans le coup, une sorte d'intello, un de ces écrivains à la con, vous savez.. Du coup, qu'on l'admirât aussi pour sa propre intelligence serait plutôt ce qu'elle recherchait selon moi...
l'abbé: Bien mal tombée, la pauvre, vous qui professez avec Baudelaire, qu'aimer une femme intelligente est un plaisir de pédérastre.
F:..et puis, je suis intelligent pour deux.  Elle disait, j'aimerais que tu apprennes à m'apprécier aussi pour ce que je pense. Elle était indignée(vraiment?) que l'on pût ne la considérer que sous cet angle rose: son corps.
l'abbé:Qui pourrait l'en blâmer? Et puis c'était à vous, mon fils, à ne pas lui montrer trop crûment votre dessein de commettre le pèché de chair, il me semble..
F: Mais l'union charnelle entre nous n'était pas rejetée par principe. Elle recevait avec une indulgence flattée mes assiduités, qu'elle associait à ma misérable condition de mâle. Elle était une femme jeune, une Eve originelle, et comme telle douée d'une receptivité immédiate. Mais il convenait, disait-elle, de bien nous connaître avant que de nous apparier. Le contraire de ce qu'il eût fallu, à mon sens, d'abord bien la connaître, pour ensuite, peut-être l'apprécier..
l'abbé:.oui, de votre point de vue, très biblique, mon fils, où Adam connut Eve qui conçut et enfanta Caïn, cependant qu'elle, qui ne vous connaissait ni d'Eve ni d'Adam, cherchait à vous cognoscere, ce qui est légitime.
F:Mais enfin, l'abbé, je fus sans lui faire remarquer que d'offrir en premier sa beauté spirituelle pour n'accèder qu'ensuite, si l'on en était digne, à sa beauté corporelle, c'était placer la seconde bien plus haut que la première..
l'abbé:   Et lui donner cet avis de Michel de Montaigne que dès lors que le principe de l'amour entre vous n'était pas rejeté:"Au subject de l'amour qui principalement se rapporte à la veue et à l'attouchement on faict quelque chose sans les grâces de l'esprit, rien sans les grâces corporelles."
F: Pour elle on n'eût rien fait sans les grâces de l'esprit. Mais si son âme enfantine recherchait la grandeur spirituelle, mon esprit voulait l'allégresse du corps. Dans l'union charnelle toutes les puissances sont en jeu, aussi bien physiques que spirituelles. La fonction alchimique de l'amour étant pour moi de brûler les déchets toxiques accumulés par ma machine à penser incessante et incandescente, immerger mon âme ardente dans les eaux rafraichissantes et vivifiantes..
l'abbé: Au fond, mon fils, elle refusait d'être considérée par vous, uniquement comme une femme. Elle se pensait d'abord comme un pur esprit, secondairement comme une femme. "Un être humain" accessoirement de sexe féminin...
F: Quoiqu'il en fut, je choisis, tactiquement, de taire ces réserves en moi et d'en passer sous les fourches caudines de sa volonté de Samnite intellectuelle..
l'abbé:.. de patienter, mon fils, patience et longueur de temps sont les deux mamelles de la soupe à la tortue et du civet de lièvre convenablement mijotés...
F:..hé, l'abbé, vos deux mamelles d'une soupe valent bien mes mains de serpent!
l'abbé: de belles coquecigrues ma foi, mon fils. Ceci dit patienter, ça n'est pas si terrible...
F:.." Science et patience le supplice est sur". S'il ne s'était agi que d'endurer celà..mais comme je vous le disais, il me fallut subir cet honneur immérité de son esprit...
l'abbé: et c'est ici je présume, mon fils, que les choses se gâtèrent..
f:..et qu'elle, surtout, se gâta. Alors que sa beauté physique était originale, je fus rapidement à découvrir que pour l'esprit c'était tout le contraire. Quelle horrible situation où le corps n'exulte pas car il n'intègre rien et l'esprit, le mien, le seul, tourne à vide, s'use en vain pour éviter, pour compenser la laideur alentour.
l'abbé:Et oui, mon fils, vous n'aviez plus à vaincre la résistance, par essence versatile, d'une seule femme mais à vous colleter avec tout le Poids du monde..
F: impossible! Les dés sont pipés.On ne réfute pas une époque. Le Kali-Yuga, et sa spiritualité amazonienne. Continuer à la subir revenait à recevoir chaque jour ma dose de "france""culture", acheter la télévision et m'abonner à télé-ramas, ingurgiter ligne par ligne la prose bréneuse d'un de ces torchons à la mode. Voir, lire et entendre quotidiennement tout ce dont je me préserve soigneusement, que j'exècre...
l'abbé:Or, un homme cultivé aujourd'hui se reconnait, entre autre chose, par ce qu'il ignore...
F:..on ne saurait supporter pareille servitude... Malgré tout, comme ce bon vieux Montaigne le notait, on fait quand même quelque chose sans les grâces de l'esprit...
l'abbé:.. voulez vous dire mon fils, que ses disgrâces spirituelles ne réussirent point à vous en lasser...
F:..mais peut être à nous enlacer. Que voulez vous l'abbé, elle était rose, ronde, rousse et diaphane, la pure Véronica de Dante Gabriel Rossetti, mettez vous à ma place..
l'abbé:..il n'en saurait être question, mon fils...
F:..comme j'avais définitivement perdu toute estime pour elle, las de tenter de la convaincre je résolus de la vaincre, par ses goûts et sur le terrain de ses illusions..
l'abbé: In omnibus ubi peccatum non cerneretum. Vous rendez vous compte, mon fils, que celà n'est pas d'un honnête homme..
F:.. les jeux de l'amour, comme la guerre ne sont pas une activité pour délicats, et puis au fond, la chère enfant était-elle, elle-même, très honnête? Pour me servir du langage d'un marxisme galant, je dirais que si elle comprenait la valeur d'usage, évidente, de son corps, elle en connaissait fort bien aussi, la valeur d'échange. D'humble origine, sans relations aucunes, d'une demi-culture trés incohérente, de sa personne, elle pensait deux choses, et deux choses parfaitement justes: -Qu'elle avait l'étoffe pour devenir une écrivaine( et si angot, pouquoi pas elle?), -Qu'elle était, physiquement, un morceau de roi. Mine de rien(croyait-elle) elle jaugeait ma propre valeur d'échange, mon entregent dans le milieu"intellectuel".
l'abbé:Bien naïve et bien fraîche encore, semble-t-il, mon fils, qui ne connaissait pas les véritables"rois du monde" actuels..
F:Mais ça n'aurait su tarder. Je prévoyais sa réussite, l'échouage hideux autant que certain d'une marie-salope, et que j'aurais affrêtée moi même, dans le Marais culturel parisien, c'est à dire le lit d'une torve gueule levantine des lettres. Elle pesait les chances qu'elle aurait d'arriver par mon entremise. Mais ce miroir aux alouettes de son ambition puérile ouvrait sous ses pieds, sans qu'elle suce et le susse encore, une Chausse-Trappe, et c'est à ce piège que je l'aurais finalement prise...
l'abbé: .. que vous "l'auriez"..
f: ce laurier-rose, hélas! pour sa possession, mon front n'est pas ceint de laurier..
l'abbé:.. votre poliorcétique aurait donc échouée mon fils?
f: ..qui sait?
l'abbé: Comment, qui sait? Mais vous! et elle, ce me semble!
F: Elle, elle ne sait plus rien. Quant à moi...
l'abbé: Seigneur!... serait-elle?...
F:..ad patres? Oui. Un bus. Ecrasée en courant à cet ultime rendez-vous dont nous étions convenus.. et qui aurait, sans nul doute, répondu à votre vaine curiosité...
l'abbé: Quoi? Que dîtes vous? C'est terrible. Requiescat in pace.
F:Amen.
..................................... FIN, triste fin............................................................................................
...

l'abbé: Triste fin vous-même, mon fils! sachez que je n'ai dit requiescat in pace, que par pur devoir de charité chrétienne..
F:.. ah oui?
l'abbé:. et afin d'éviter une répétition avec l'entretien précédent..
F:..ah bon..
L'abbé:..qui comme vous le savez, mon fils, portait sur les sirènes, qui ne sont manifestement pas les seules à finir en queue de poisson! Desinit in piscem, se dit aussi, au sens figuré, pour les choses dont la fin ne répond pas au commencement, ne tient pas la route, qui promettent beaucoup et tiennent peu...Desinit in piscem, conviendrai parfaitement pour clore ce présent entretien. Mais eu égard à sa fin brève et tragique, je me contenterai de vous dire:
Quocumque ostendis mihi sic, incredulos odi.
F: Pour ne pas vous ennuyer, hein monsieur l'abbé?.. je ne vous demanderai pas ce que ça veut dire..
l'abbé: si fait, mon fils, demandez, et vous serez rassasié:"Ce que vous me montrez me trouve incrédule et me déplait." Incredulos odi!
F: ah oui? Ah bon. Reamen.

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